par Ludmila Rougeot du blog Green and the City
On dirait le salon de votre grand-mère (perverse). Mais non, cette boutique baignée de lumière naturelle, qui sent bon l’huile de massage érotique, est un sex-shop.
Bienvenue chez Other Nature. Les murs sont peints en blanc, des lampes vintage pendent au plafond, on a des plantes partout pour la touche green, et des fauteuils et du thé dans la salle du fond, histoire de pouvoir feuilleter tranquillement quelques pornos féministes. Les vendeuses ne sont pas des commerciales, mais des conseillères en sexualité, et ça se sent : on est bien, à l’aise.
Other Nature est féministe, queer et sex-positif. La boutique est également écolo et végane. Cela signifie que votre panoplie de hardeuse SM est en cuir artificiel et que les godes et autres sex-toys sont écolo et ne contiennent pas de produits néfastes. On peut également participer à divers workshops et ainsi devenir un(e) expert(e) en bondage japonais par exemple.
Kitty May est conseillère en sexualité, thérapeute et se charge de la partie éducative de la boutique, notamment de l’organisation des workshops. On a pris un café avec elle pour parler féminisme en matière sexualité.
Ludmila Rougeot : En quoi Other Nature est-il un sex-shop féministe ?
Kitty May : Beaucoup de choses. Tout d’abord, nous avons conscience de ce que la sexualité dans notre société est très genrée. Il y a cette idée qu’il existe deux groupes de personnes, appelés « hommes » et « femmes ». Cela rend difficile de dissocier la sexualité du genre et donc de dissocier la sexualité du patriarcat.
LR : Justement, quand on parle de féminisme, on ne mentionne souvent que les personnes cisgenre. Quelle est la place des personnes trans dans le combat féministe ?
Kitty May : Nous considérons que le patriarcat est néfaste à tous les genres, même aux hommes cis. Bien sûr, ils ont des avantages matériels, mais en matière de sexualité notamment, on leur impose également un rôle très limité.
En tant que sex-shop, il est important pour nous d’inviter les gens à explorer par eux-mêmes. Rien que le fait d’être un sex-shop dédié aux femmes et aux personnes trans, et de reconnaître qu’elles sont des sujet sexuels (et non pas seulement des objets) est encore contre-culturel de nos jours.
LR : Pensez-vous que les sex-shops « classiques » nient le fait que les femmes et les trans ont une sexualité ?
Kitty May : Tout à fait. Je pense qu’une grande majorité des sex-shops mainstream sont dédiés à un consommateur cisgenre hétérosexuel (ou gay pour certains sex-shops). Les hommes sont souvent considérés comme les consommateurs dans ce type d’espace. Un espace qui offre une image stéréotypée de la féminité via l’emballage, les types de produits disponibles, leur description etc. Chez Other Nature, nous allons par exemple éviter de travailler avec des marques dont le packaging est sexiste.
LR : Vous avez un exemple ?
Kitty May : Dans de nombreux sex-shops mainstream, sur l’emballage de godes, vibromasseurs etc. on aura la photo d’une femme cisgenre nue, qui répond à des critères très réducteurs de ce qui est sexy : gros seins, taille étroite, longs cheveux blonds, bronzée, soit un look porno très mainstream.
LR : C’est étonnant pour des produits justement conçus pour les femmes…
Kitty May : En effet, c’est intéressant, parce que ce type de publicité vise un consommateur cisgenre qui va utiliser cet objet sur sa femme. Mais c’est vrai que si en tant que femme on cherche à acquérir un sex-toy, ce type d’emballage peut être extrêmement rebutant. Déjà, je ne ressemble pas à cette femme et ensuite, je ne trouve pas cette représentation de la féminité particulièrement attrayante.
LR : Chez Other Nature, il y a une bibliothèque assez impressionnante de pornos féministes. Comment définiriez-vous un porno féministe ?
Kitty May : Les réalisatrices et réalisateurs des films porno que nous avons ne se définissent pas forcément tous eux-mêmes comme des féministes. Ce qui est important pour nous, c’est d’une part le côté éthique. Que les personnes qui participent à la réalisation de ce porno soient traitées avec respect, devant la caméra comme hors-champ.
Autre chose importante : la représentation du plaisir féminin. Le porno féministe va aller à l’encontre du scénario classique, où le plaisir de l’homme prime sur celui de la femme et où l’éjaculation est censée être le point culminant du rapport sexuel par exemple.
On veillera aussi à représenter différents types de morphologies ainsi que des personnes de différentes origines ethniques. Cela évite qu’une majorité de la population se sente exclue.
LR : Pensez-vous que ce type de sex-shop pourrait marcher autre part qu’à Berlin ?
Kitty May : Oui, carrément. Il y a certes quelque chose de très berlinois dans le concept : à Berlin, il y a cette énergie qui te permet d’essayer des choses et de voir si ça marche. Mais je pense surtout que ce sont les gens qui veulent ce genre de concept. Si c’est bien fait, cela pourrait très bien marcher dans n’importe quelle ville.
LR : Sara Rodenhizer a créé Other Nature parce qu’elle a constaté qu’à Berlin il n’y avait pas de sex-shops féministes, contrairement à son pays d’origine, le Canada. Y-aurait-il plus de sex-shops féministes au Canada ?
Kitty May : Oui, absolument. En Amérique du Nord de manière générale, il y a beaucoup plus de sex-shops féministes qu’ici. Les premières boutiques sont apparues dès les années 70 à San Fransisco. Le concept s’est étendu à travers le pays pour ensuite arriver au Canada dans les années 90. À ce propos j’aimerais recommander un livre génial qui vient de sortir : « Vibrator nation ». Il retrace l’histoire des sex-shops aux États-Unis.
LR : Comment est-ce que qu’une approche féministe de la sexualité peut-elle contribuer à l’empowerment des femmes dans leur sexualité et dans leur vie ?
Kitty May : (Silence) Je pense que je pourrais écrire un doctorat sur ce sujet… (Rires) Tout d’abord, le fait de sortir du rôle que l’on nous a assigné est une opportunité incroyable pour gagner en pouvoir. Le premier pas pourrait simplement être de prendre conscience de ce rôle attribué, parce que ces choses peuvent être invisibles.
Pour nous, il est important de se positionner en tant que sex-shop queer, parce qu’il y a quelque chose dans le combat politique queer qui défend qu’il n’y a pas de « normalité ». Il peut être difficile pour les gens de prendre conscience de l’existence de certaines cases de ce qui est « normal », de ce qui est attendu ou accepté par la société.
Cela peut être particulièrement difficile pour les femmes en 2018, parce que d’un côté, on a cette idée que nous sommes tous tellement libérés sexuellement. On a eu les années 60 et 70, les post-féministes. Toute discussion sur la liberté sexuelle est presque old school. On parle de la sexualité féminine de manière très ouverte dans les médias.
Mais, souvent, ce message mainstream nous met encore dans des cases. Il peut y avoir tellement de pression et d’attentes générées avec des articles de magazines féminins tels que « 10 positions pour le rendre fou » ou encore cette approche en « checklist » de la sexualité : « Maîtrisez-vous telle pratique ? », « Avez vous déjà fait l’amour dans tel et tel lieu ? ». Ces attentes peuvent limiter autant qu’une idée victorienne de la sexualité.
LR : Quelle serait donc la différence entre liberté d’exploration et pression de la performance ?
Kitty May : Je pense que la clé c’est de réaliser que nous sommes un sujet sexuel. JE veux, JE suis, J’AI envie d’essayer, JE ne suis pas intéressé(e)… Chez Other Nature, nous essayons toujours de faire comprendre aux clients que nous les considérons comme les experts de leur propre sexualité, de leur propre corps. Nous avons conscience que tout le monde ne le ressent pas forcément de cette manière, et ça aussi c’est normal.
La société fait en sorte qu’il est facile de ne pas avoir confiance en soi. C’est lié au capitalisme, parce que si on se sent bien, on aura moins tendance à ressentir le « besoin » d’acquérir certaines choses. La pub joue avec ce sentiment de manque de confiance en soi.
Rendre visibles les attentes de la société permet à chacun de décider s’il a envie ou non d’adopter le rôle assigné. Cela peut prendre du temps de briser ses habitudes, mais c’est déjà bien de savoir : « ceci n’est pas quelque chose qui vient de moi, ça vient de l’extérieur ».
LR : Question bonus : allez-vous célébrer la Saint Valentin ?
Kitty May : Généralement, ma femme et moi nous ne la célébrons pas. Personnellement, je trouve cette fête un peu cucul. Mais le 13 février 2018, il y a un workshop de masturbation à Other Nature. La tendance de la Saint Valentin mainstream met beaucoup l’accent sur le renforcement du lien dans un couple monogame. Nous aimons rappeler que la relation (sexuelle ou non) la plus importante est celle que l’on a avec soi-même.
OTHER NATURE
Site Internet
Mehringdamm 79
10965 Berlin
Lundi, Mercredi – Vendredi 11h-20h
Mardi 11h-18h
Samedi 11h-19h
Tel: 030/206 205 38
Pour celles et ceux qui n’habitent pas à Berlin, la boutique en ligne d’Other Nature livre dans toute l’Union européenne, voire hors UE si l’on fait une demande par email.
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Sex-shop très professionnel, discret, rapide et pas cher. Le personnel est accueillant et sympathique. Ambiance agréable et relaxante. Très bonne expérience, j’approuve tout à fait !